Séminaire - Les droits et libertés du numérique. Des droits fondamentaux en voie d’élaboration
Rym Fassi-Fihri, 29 mars 2024
thèse de droit comparé qui a reçu le prix du Conseil constitutionnel
"la lecture des travaux des enseignants de cette maison m'a toujours été très utile"
"et je tiens à dire à madame Koumpli que sa thèse a été mon livre de chevet pendant un moment"
"l'idée de ce sujet vient de mon mémoire de M2 consacré à la protection des DCP"
"à l'époque, je savais que je voulais travailler sur un thème d'actualité"
"le droit à la protection des DCP n'est pas un faux droit, ce n'est pas un droit de riches"
"vous en avez conscience, de par leur mode de fonctionnement, les technologies numériques peuvent avoir des effets discriminatoires et restreindre l'égal accès au droit"
"j'ai cru naïvement à l'époque qu'il n'y avait pas beaucoup de travaux sur ce domaine, je m'étais trompée, c'était en 2015" (thèse d'Emilie Debessse)
"avec le recul, je ne suis pas très fière de ce mémoire, mais à la fin j'avais envie d'élargir mes recherches"
"je me souviens que plusieurs doctorants en France commençaient une thèse sur la surveillance des données"
"je me suis demandé alors quels autres droits fondamentaux étaient consacrés en réaction au numérique", "l'idée de cette thèse était donc de tester l'hypothèse de l'émergence d'une nouvelle série de droits fondamentaux"
4 droits :
ces droits sont les seuls à faire l'objet d'une consécration, au niveau constit ou conventionnel, en France et aux USA
"ce qui concorde avec la définition que je donne en intro d'un droit fondamental", "il me fallait des éléments communs entre les deux pays"
par ailleurs, ce sont des "droits tuteurs" = des droits à partir desquels sont consacrés d'autres droits (par ex. portabilité des données, sort des données post-mortem, "à mon sens ce sont plutôt des démembrements des droits fondamentaux précités)
"et puis il a fallu que je stabilise l'objet de ma recherche, donc c'est un choix pragmatique"
"le choix d'une étude comparative s'est imposé assez vite" : caractère dématérialisé de ces droits
"à l'origine, une DP n'est pas un élément protégé aux USA mais un objet de commerce"
"les deux ordres juridiques semblent opposés sur ce point, mais on verra que ce n'est pas tout à fait le cas"
"il fallait repérer une occurrence particulière : la naissance d'une nouvelle catégorie de droits fondamentaux"
est-ce que les droits et libertés du numérique peuvent être considérés comme des droits fondamentaux à part entière, jusqu'à donner naissance à une catégorie de droits fondamentaux autonomes ?
d'un point de vue purement formel, les DF du numériques ne sont que les prolongements des DF existants, "donc a priori y'a pas de thèse"
le législateur et les juges font du droit à la protection des DP le prolongement du droit au respect de la vie privée, du droit d'accès à internet le prolongement de la liberté d'expression, etc
mais il y a des spécificités :
"il faut que je revienne sur la comparaison entre droit français et américain"
"ça aurait été faisable sans recourir au droit comparé"
autonomie progressive
"le numérique a une dimension ubiquitaire, les droits et libertés du numériques sont à l'image du numérique, il me semblait donc que la méthode comparative était la plus adaptée" : "elle m'a permis d'appuyer mon hypothèse de départ"
"il a fallu déterminer mes unités de comparaison : qu'est-ce que j'allais comparer et comment":
valeur de modèle "voire d'antimodèle" des cas français et américains
Wallen vs. Roe
CFDUE art. 8 "différent de l'art. 7"
"cette démarche n'a rien d'exceptionnel, la doctrine est presque unanime pour considérer le droit comparé comme un instrument de recherche et non comme un domaine de droit autonome"
"il faut faire un usage stratégique de la méthode comparative"
"c'est pour ça que j'ai choisi la méthode fonctionnelle (Ernest Rabel, début du XXe siècle)" => rechercher un équivalent fonctionnel, une règle qui remplit la même fonction, le même résultat
"j'ai été amenée à apprécier la finalité de ces règles"
"et il le fallait à cause des différences irréductibles : par ex. la définition de droit fondamental n'est pas du tout la même aux USA et en France"
les droits du numérique aux USA sont pour la plupart ds principes de compliance, alors qu'ils sont consacrés comme droits fondamentaux en France et en UE
"le droit européen est une vraie locomotive en la matière"
"bien sûr cela ne n'est pas fait sans difficultés, il fallait se familiariser avec l'anglais juridique"
"mais la difficulté principale, ça a été de m'émanciper du regard français sur les solutions américaines", "même s'il y a toujours un biais, il faut en avoir conscience"
"j'ai décidé de faire un plan en 3 parties, parce que ça ne fonctionnait pas avec 2 parties"
et ce à travers leurs sources et leurs contenus
"il fallait bien identifier mon objet d'études"
"y'en a beaucoup"
par ex. CConstit 2009 Hadopi : consécration du droit d'accès à l'internet comme prolongement de la liberté d'expression
CJUE Google Pain 2014 : consécration du droit à l'oubli
CEDH 2017 : droit à l'autodétermination informationnelle
"le CConstit a bien entendu consacré à plusieurs reprises le droit à la protection des DCP depuis 2012"
Cour Suprême 2017 Packingham : droit d'accès aux réseaux sociaux, sur le fondement du Ier amendement de la Constitution US
CS 1997 : a étendu à Internet la protection du Ier amendement
"actuellement en France, on n'a pas de disposition consacrant spécifiquement de droit ou liberté du numérique au niveau constitutionnel" : "on pourrait donc avoir un doute sur leur caractère fondamental"
"mais ce n'est pas très grave avec le recul, car ces droits sont déjà consacrés par prolongement"
pourquoi 4 droits uniquement ? "ça m'a valu beaucoup de critiques", "il a fallu que je me justifie dans ce chapitre"
"j'explique notamment qu'il existe beaucoup de divergences culturelles, notamment sur l'appréhension de la donnée, ce qui conduit inévitablement à des méthodes différentes"
"j'essaie aussi de mettre en avant l'idée que certains droits sont plus aboutis que d'autres"
cas du droit à l'oubli, "il faut bien admettre qu'il est incompatible avec la conception absolutiste de la liberté d'expression aux États-Unis"
avec toutes les caractéristiques que cela implique :
"c'est peut-être là le cœur de ma thèse"
déterritorialisation : les règles ont propension à s'appliquer en dehors du territoire où elles ont été édictées
caractère ubiquitaire du numérique qui bouleverse la logique territoriale
éclatement du concept de frontière, ce qui conduit les autorités normatives à accorder par ex. au droit à la protection des données une portée transnationale
"bien entendu il n'est pas question d'une extraterritorialité au sens strict"
droit de l'UE : protéger les DCP "où qu'elles aillent" (mécanismes d'extension territoriale, "c'est ce qu'on appelle le Brussels Effect)
effets horizontaux : historiquement les DF ont d'abord été pensés pour lutter contre les ingérences publiques, contre l'État (effet vertical)
les plateformes numériques sont à l'origine d'ingérences privées
les effets horizontaux des DF du numérique sont donc une condition sine qua non de leur effectivité
théorie de la state action
CEDH : notion d'obligation positive
"le CConstit lui-même reconnaît des effets horizontaux, ce qui est assez surprenant" : obliger les pouvoirs publics à garantir les DF numériques dans les rapports entre personnes privées
"j'ai tenté de faire preuve d'originalité dans cette partie"
cohérence, non-rendondance, non-contradiction
"pour construire une catégorie autonome, il fallait que je respecte un certain nombre de principes méthodologiques, scientifiques"
remettre en cause une idée reçue : l'arrimage des DF du numériques aux droits classiques
"j'ai essayé de démontrer que ce n'était pas tenable d'un point de vue scientifique"
les DF peuvent être étendus à des situations nouvelles : loi de 1881 sur la liberté de la presse et Constitution US de 1787, étendues à internet
distance théorique entre les DF numériques et les DF qui leur servent de fondement
ces 4 droits peuvent-ils être réunis au sein d'une nouvelle catégorie de DF ?
"à mon sens, les DF du numériques sont impossibles à imbriquer dans une typologie existante", "et aux États-Unis la vision est beaucoup plus empirique"
par ex. classification temporelle ("génération" de droits) :
il ne faut pas comprendre l'identité numérique comme identité permettant l'identification des personnes, mais dans son élément subjectif : l'identité choisie des personnes
"ce sera assez bref"
charte constitutionnelle des droits et libertés du numérique : "ça ne vaut que pour le cas français évidemment, on n'en a pas forcément besoin aux USA"
"je suis consciente des limites de cette proposition, mais dans la mesure où la Constitution n'est pas seulement un acte normatif mais un objet symbolique, le constituant ne peut totalement se désengager du numérique"
Koumpli : "dans ta démarche, c'est presque apologique", "est-ce que tu n'as pas l'impression qu'il n'existe pas de libertés fondamentales dans le numérique ?"
"si c'est "susceptible" d'avoir des effets, est-ce que ça veut dire que ça peut ne pas en avoir, et donc ne pas exister ?"
Fassi-Fihri : "oui, j'ai douté, mais je tiens quand à même à dire que j'ai vérifié pour chaque droit s'ils étaient susceptibles de prévaloir par rapport à d'autres prétentions, et c'est le cas"
Koumpli : "pourquoi faire du droit à l'oubli un droit distinct du droit à la protection des DCP ?"
Fassi-Fihri : "je précise quand même que tous ces droits partent d'un élément commun, qui est la donnée"
"je distingue le droit à l'oubli dans la mesure où sa philosophie est distincte : il a été spécifiquement consacré pour les moteurs de recherche"
"si je finissais ma thèse actuellement, je ferais sans doute un développement sur le développement de ce droit au regard de l'intelligence artificielle : les algorithmes sont en constant apprentissage, ils accumulent le plus possible de données"