Sociologie des infrastructures

Guillaume Marrel

Notes de cours

Indétermination : "on a toujours la tentation de penser que la technologie produit des effets"
elle va plutôt amplifier

"on sait que le web ouvert c'est raté, la Chine et la Russie ont fermé leurs réseaux, il n'y a plus d'internet mondial"

"souvent il y a du détournement"

"aux États-Unis, il y a une croyance en l'hyperpuissance de l'individu"
"aujourd'hui tout le monde peut être éditeur, le pouvoir a changé, on n'est qu'au début de ce mouvement planétaire"

"Cardon fait une proposition de sociologie des algorithmes"
"il va falloir vite actualiser les choses, avec ChatGPT ça va beaucoup plus vite qu'on ne le pensait"

Introduction

"cette sociologie du numérique, elle n'est pas très facile à faire" (omniprésence/controverse/etc.)
"les sociologues sont inaudibles dans ce domaine, alors qu'ils ont beaucoup de choses à en dire"

les technos numériques bousculent les structures sociales et deviennent elle-mêmes des structures sociales
on dit que le numérique est pervasif : il pénètre toutes les dimensions de la société

Boullier : on peut suivre deux hypothèses

  • le numérique est un amplificateur de tout : les médiations, les pratiques, les acteurs, les techniques... toutes les relations sociales
  • le numérique ajoute certaines dimensions aussi, apporte de la nouveauté
    l'amplification n'est pas uniforme, les principes sur lesquels repose l'informatique rajoutent deux éléments ("sur lesquels on reviendra") : le calcul et l'incertitude

approche "STS" : l'analyse des relations sociales doit tenir compte des technologies
il faut rendre compte de la vie matérielle des sociétés, il ne suffit pas de s'intéresser aux relations entre les gens mais aussi à l'importance des médiations technologiques
les technologies ne s'imposent pas tout seules, ce sont des choix humains : la manière dont elles se répandent informe sur ce que font ces sociétés, les conceptions qu'elles ont de leur propre développement

1) Une nouvelle amplification

l'amplification causée par l'imprimerie a bouleversé le rapport de force religieux (protestantisme : plus besoin de la médiation du clergé pour expliquer la religion), économique (Max Weber : l'imprimerie fait apparaître le capitalisme) et politique

le premier secteur économique à s'industrialiser, c'est le livre (grâce à la presse mécanique)
l'imprimerie devient donc un mode de production, qui va changer le monde "mais pas d'un seul coup, ça met une grosse cinquantaine d'années"
les concepts de réinvention et traduction sont très importants pour les STS
effet diligence : les premiers wagons ferroviaires étaient simplement des diligences posées sur des essieux
"on part toujours de ce que l'on connaît déjà"
invention du caractère mobile et du format in-octavo : l'amplification est liée à des détails technologiques (mobilité, portabilité, recombinaison)

"le Web 1.0 est comparable aux incunables, une sorte de média classique un peu comme la télévision (descendant)"
dans les années 2000, on change d'échelle, "c'est le moment de la véritable révolution numérique", l'informatique et les réseaux sortent du monde professionnel, l'internet devient un outil grand public
"moi j'étais étudiant en 1997, Internet ne servait qu'à chercher des références bibliographiques"

connexion simultanée de l'humanité toute entière
en 1995 : 90 millions d'abonnements mobile dans le monde
2017 : 7,8 milliards
"aujourd'hui, il y en a plus que d'humains sur terre"

Marshall McLuhan, inventeur de la notion de "village global" : "le message est le médium"
"on n'est plus les mêmes êtres humains lorsqu'on est tous connectés"

- Imprimerie Numérique
Lecture individualisation recomposition
Écriture discussion du message auto édition
Image mondes intérieurs et lointains mixages et immersion
Production
Interface portabilité tactile et vocal

"vos arrière-grands-parents ne savaient pas forcément lire"
l'invention de l'écriture a "dissous la séquence de l'oralité"
les politiques de contrôle du livre (index, dépôt légal) interviennent très tard et laissent se produire une prolifération

extimité : on écrit pour être lu
"l'ergonomie numérique c'est un enjeu très important"

Spécificités du numérique

le calcul : effet de boîte noire mais aussi de transparence, "à la fois un risque et une opportunité"
l'incertitude :

  • le numérique est rapide, la démocratie est lente : "on sait qu'on est en train de perdre de contrôle", "les occidentaux sont persuadés qu'ils pourront tout contrôler, c'est faux mais c'est leur croyance"
    hors cours

    cf. Bardin qui "au moins (lui) propose un truc"

  • le bug est consubstantiel à l'informatique, "c'est le Rio-Paris qui plonge dans la mer"
  • miniaturisation (nanotechnologies) et invisibilité : "l'invisible est ingouvernable"

Bruno Latour : importateur en France des grandes hypothèses de la sociologie des sciences et des techniques, "il leur donne un statut quasi-équivalent aux acteurs humains"

  • théorie de l'acteur-réseau : acteurs non-humains qui orientent et déterminent le comportement des non-humains
  • démocratie dialogique : adapter la démocratie aux facteurs d'incertitude, "obliger les ingénieurs à participer au débat public"

"sans moteur de recherche, le Web ne sert à rien, c'est moins efficace qu'une bonne bibliothèque municipale"

hors cours

comparer avec "(...) on retourne au rôle des moteurs de recherche qui est de remplacer des communautés puisqu'il n'y a pas de communautés sur les récènes" (Océane)

Exposé 1 : TCP/IP

méritocratie, curiosité, défiance envers les autorités
"chez les hippies y'a une grosse notion de transformation de l'individu", Engelbart : "prothèse électronique"
"contre-culture" : Theodore Rozak, 1961

le réseau distribué s'aligne avec les valeurs de la contre-culture et des hackers (les RFC)

la transition n'était pas inattendue : la nouvelle génération a mis en question la politique de ses prédécesseurs
et le LSD permettait de mettre en question son individualité
ce sont ces éléments qui ont permis l'émergence de la contre-culture hippie

science-fiction + conquête spatiale => recherche vers la technologie (ordinateur personnel)
Stewart Brand : "une expérience hors corps", "mais les hackers ne consommaient pas de LSD"
WELL :

  • communauté influente dont les membres ont crée l'EFF ou Craigslist

  • espace de discussion où les membres étaient rédacteurs et non plus seuls lecteurs, comme sur les réseaux sociaux d'aujourd'hui

  • un mouvement hippie lutte à travers les canaux politiques

  • un autre mouvement hippie considère que la politique fait partie des maux de la société (Marrel : "changer la société sans prendre le pouvoir")
    ce mouvement entraîne la formation de communautés utopiques qui prônent un "retour à la terre", mais dont la plupart échouent en ressemblant trop à la société qu'elles cherchaient à éviter
    ce mouvement est re-dynamisé par la rencontre avec le mouvement hacker => construire une société nouvelle grâce au numérique

individuation : l'individu peut exister en tant qu'individu biologique, psychologique et social
l'individu social peut choisir d'adhérer librement à des groupes plus complexes, en s'affranchissant de certaines notions => cette idée est reportée sur le numérique

point de bascule : l'arrivée d'idées "libertaires" et "libérales" dans la contre-culture hippie
"une bascule entre les hippies et ce qu'on appellera le mouvement yuppie, en passant par une dimension mercantiliste" (Thomas Perrin)

Turner : il n'y a jamais vraiment eu d'Internet utopique

"le TCP/IP est un carrefour, une fusion"

Exposé 2 : HTTP et HTML

"une logique duale du développement web"

"lors du processus du production, il y a certains effets qui ne sont pas forcément pris en compte et qui peuvent apparaître, comme les externalités négatives quand on a inventé l'automobile"

Info

l'exemple de la voiture est cité par Charlie Stross

"les internautes et leur navigation ont crée tout un tas d'externalités positives", dont "l'intelligence collective" (Olfa Gréselle-Zaïbet)
"un cas d'école d'intelligence collective, c'est le PageRank de Google"

pourquoi on retrouve ces dynamiques-là ?
"c'est lié à deux notions : open source et logiciel libre"

sur les GAFAM : "maintenant on va avoir une certaine concentration du réseau"

hors exposé

ça me fait penser à ce meme (qu'évoque Cory Doctorow pour parler de l'Enshittification) :
only five websites

"les GAFAM vont venir vampiriser les biens communs de la communauté et s'en servir à leurs propres fins"
"la redistribution de la valeur ajoutée n'est pas totale" : "à l'époque les CAPTCHA servaient à éviter les bots, mais depuis ça a été monétisé"
"en plus du PageRank, il va y avoir un algorithme à part qui va scanner les mots-clés, un marché automatisé sans commissaire-priseur", "une certaine forme de capitalisme linguistique"

Cardon : "on peut faire soit de la coopération, soit du marché"
Marrel : "mais la coopération ne peut pas disparaître"

Exposé 3 : Saisir le numérique par les usages

Marrel : "le principal apport de cette approche est d'éviter le déterminisme technologique"

dans les années 80, la sociologie des usages vient à contre-courant du déterminisme technologique (MacLuhan)
"on étudie les usages par rapport aux préoccupations industrielles"
Michel de Certeau : détournement des usages
"on en arrive à un nouveau courant où l'usager prend une place centrale"

Jacques Perriault : approche "plutôt épistémique" d'anthropologie collective
projet/instrument/fonction
Serge Proux : "émergence d'une nouvelle tradition en sociologie des usages"

années 2000 : recul de l'engagement des États dans la recherche / montée en puissance des approches quantitatives (big data)

Fabien Granjon : "les usages ont une méconnaissance des rapports de domination dont ils sont les principales victimes", et les chercheurs doivent intégrer ces rapports dans leurs recherches
"renouvelent les assises du capitalisme"

Olivier Ertszcheid : "ce qui caractérise un bien commun", c'est qu'il "dispose d'une communauté sans pour autant se chercher une audience"

Un phénomène de pervasivité à risques

"effet hypnotique"

Bénédicte Rey et "privacy"
"on remarque qu'il y a un internet "before Snowden" et "after Snowden", mais il reste un principe sociologique bien connu du "je sais bien mais quand même" (Octave Mannoni, mentionné dans Sociologie du numérique (Boullier))"

Antonio Casilli : "réintroduit la notion de corps", mais "cela va appuyer le phénomène du "chatting alone" (les salons Discord)"

La fracture numérique

"renvoie à l'idée de division"

évaluation de l'illectronisme par l'INSEE : 69% de seniors (75 ans ou +), 9% d'ouvriers, 2% de cadres

Marrel "les ingénieurs n'ont pas conscience des détournements que les hommes font des technologies, l'intérêt de la sociologie c'est de les relever"
"les êtres humains sont imprévisibles"

les usages ne sont pas déterminés par la technologie = indétermination
il y a des processus d'appropriation
les usages numériques ont 3 grandes dimensions (Boullier) :

  • versatilité (changeants, instables)
  • horizontalité (de la relation producteur/utilisateur), beaucoup moins hiérarchisés
  • inégalité (l'accès n'est pas uniformément réparti)

au centre des usages, se trouve la relation homme-machine : "si on considère que le propre de l'humanité, c'est de construire des outils"

sociologie pragmatique/ethnométhodologie, "les deux outils intellectuels"
régime d'intention/régime d'action

  • sociologie pragmatique : "contrairement à ce qu'on pourrait croire, le numérique repose sur la division mathématique, c'est absolument rationnel, mais malgré cela les usages qu'on en fait peuvent être totalement irrationnels, car les êtres humains sont profondément irrationnels"
  • ethnométhodologie : étudie l'appropriation sociale, "elle a commencé par travailler sur le téléphone, et comment les êtres humains arrivent à mieux communiquer qu'avec une relation face à face"

"je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler de la série Star Trek"

les usagers sont des contributeurs; "il y a une sorte d'équivalence"
publication versus privacy
les RSN transforment les relations

"les écoles Montessori où toute la journée les gamins ne font que jouer avec de la terre"

Exposé 4 : technologie cognitive

"il n'y a pas de connaissance sans support matériel"

externalisation de la mémoire : dispositifs physiques (disques) ou visuels (internet)
l'être humain a une capacité limitée de stockage

"syndrome bout de la langue"

collecticiel = groupware

décision => fonction d'erreur => d'optimisation de modèle

écriture - liste - tableau : "les outils fondamentaux qui font entrer l'humanité dans l'Histoire"

le numérique produit de nouveaux langages (hypertexte) et de nouvelles conventions sémiotiques : "tous les signes sur lesquels on se met d'accord pour donner du sens à ce qui nous entoure"

Jeanneret : quand on écrit pour un blog, on écrit pas de la même manière que pour un journal
SEO

le numérique modifie aussi "l'architecture numérique des savoirs" (Boulier) : le partage du monde entre journalistes, éditeurs, chercheurs, enseignants

Expo 5 : Typologie et caractéristiques des RSN

"l'identité est une construction sociale"

"1% des contenus attire 90% des internautes"
"aujourd'hui, les gatekeepers, c'est les algorithmes, mais on peut aussi considérer les internautes comme des gatekeepers"

danah boyd

Marrel : "la typologie, c'est très vite périmé, les chercheurs les définissent mais les plateformes elles s'en foutent"

force du lien faible : "le lien faible ne va pas non plus remplacer le lien fort, augmentation mais pas substitution"

"diverses manières de créer, de valoriser son identité"

on pense les RSN par rapport à la notion d'espace public : en l'ouvrant aux amateurs, ils le transforment en un espace moins élitiste

  • horizontalisation des conversations publiques
  • production du capital social, en ligne et hors-ligne ("ça a des effets concrets")
  • modification des pratiques d'information (sérendipité/bulles de filtres)
  • nouvelles formes de sociabilité

Expo 6 : Publications en ligne

danah boyd et la définition du RSN

performativité de l'identité du numérique
à la fois individuelle et influencée par les autres

Expo 7 : Socio-économie des plateformes

externalité monopolistique : les plateformes sont cloisonnées

ambivalence entre économie du partage et extraction de valeur, "on a vu que l'ambivalence ça revient souvent"

"la notation n'est pas mécanique, spontanée : il s'agit d'entretenir des logiques de réputation, car on est dans une économie de la confiance"

Expo 8 : Big data et intelligence artificielle

"quand on a monté ce master en 2018, personne ne parlait d'IA, on ne savait même pas que le RGPD allait emporter la moitié de nos stagiaires"
Cardon : comment acceptons-nous d'êtres calculés ?

Popularité : "on suppose que chaque utilisateur a le même poids" (visiteur unique, clics)
Autorité : comprendre la position dans un réseau, "c'est là que le SEO va s'insérer"
Réputation : "les utilisateurs n'ont pas mesuré les conséquences de leurs posts"