Introduction au droit des données

Michael Bardin

Ressources

Notes de cours

"la mutation du service public est une de mes thématiques de recherche"

"faire un cours sur le droit des données, c'est faire un cours sur le droit de tout"

"j'aimerais étudier trois cas : les USA, la Chine et la Russie, 3 modèles extrêmement différents"

années 90, administration Clinton : "on va ré-axer toute notre industrie sur le commerce électronique international" , "à l'époque personne ne sait ce que c'est, y'a rien pour mettre ça, c'est quasiment une blague"
"toutes les mutations importantes proviennent de là"
"est-ce que vous pensez vraiment que Google est devenu Google parce que leur moteur de recherche est génial ?"
"le brevet de leur moteur est public, il est exposé à Stanford, il contient une toute petite ligne : une partie de ce brevet appartient au gouvernement fédéral des États-Unis"

les USA s'imposent comme modèle originel
la Chine, "on rediscutera du crédit social et du pare-feu doré", c'est le contre-pied, "le modèle dystopique par excellence"
la Russie, "c'est génial", "un positionnement d'une extrême intelligence"
ils n'ont pas les moyens des USA et de la Chine, mais "une culture borderline, du hacking, de la piraterie" ("ne mettez pas ça dans une copie")
donc plutôt que d'engager une bataille incertaine, "ils se positionnent sur ce que les autres ne font pas : ce qui est illégal, tout simplement"
"avec un tel talent qui impose le respect, je n'ai pas dit que c'était bien mais c'est de l'art"
"mais ils se sont aussi concentrés sur l'internet russophone en leur proposant des produits qui s'adressaient directement à leur culture"

"on oublie qu'Internet c'est des câbles, des dorsales sous-marines : le satellite c'est que dalle"
"or c'est une technologie que très peu maîtrisent : si vous êtes la France, vous ne pouvez pas le faire ; la Chine a décidé de le faire"
"mais ils sont en train de déchanter" : après avoir investi des milliards, "ils ont descendu l'hégémonie américaine de 91 à 86%"
la Russie n'a pas de dorsale sous-marine, "mais ils ont la capacité d'en couper 50km quand ça les arrange", "on a vu un chalutier russe se balader pas loin de l'Ukraine 72h avant l'invasion, et 48h avant y'a eu des gros problèmes de réseau"

hors cours

petite vidéo divertissante à propos des câbles sous-marins : Internet Vs Ocean: the essential wires we never think about (Map Men)

alors la Chine investit la couche logicielle, "personne connaissait Alibaba il y a 10 ans, il y a un véritable modèle économique qui marche bien"

Exemple de Taïwan, révolution des tournesols : à partir de 2015/2016, apparaît "une logique de résistance fondée sur le numérique"
les plus férus d'informatiques vont accéder au gouvernement et sensibiliser la population à de la "démocratie soutenue par le numérique"
"ils ont réussi en quelques années à faire des choses que nous sommes toujours pas parvenus à faire"
"vous avez lu le budget de l'État français ? ou même celui d'une petite commune ?"
à Taïwan "ils ont fait ça très très simplement : toute décision politique fait l'objet d'une vulgarisation"
"chaque projet de loi fait l'objet d'une consultation, et j'ai été étonné de voir à quel point ils étaient capables de simplifier quelque chose d'aussi compliqué qu'un budget"
"eux ont réussi à faire ça en 3 ans ; la plupart des grandes démocraties essaient de faire ça depuis 20 ans"
"je lisais encore ce matin l'étude d'impact sur la Loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, elle fait 307 pages, qui va les lire ?"
"elle devrait comporter en annexe une vulgarisation, on sait le faire, mais on ne le fait pas"
"je suis le premier à me moquer des gens qui me parlent de la transformation numérique en Estonie, en Estonie c'est facile ils sont 4 et ils vivent tous à la capitale, mais tout de même"

"en numérique, il y a trop souvent un gouffre entre ce qu'on devrait atteindre et les moyens qu'on met en œuvre, pour tout, tout le temps"
"la transformation numérique de l'administration, croyez-moi je suis vieux, y'a des choses qui ont disparu et c'est tant mieux, mais la situation aujourd'hui c'est à pleurer"
rapport du défenseur des droits : 13 à 18% de la population qui serait "en difficulté avec le numérique"
on a dématérialisé 250 procédures en 3 ans, "peut-être qu'on aurait pu se donner le temps d'éduquer les gens", "c'est la marche forcée"
"je serais économiste, je serais Jacques Attali, je vous dirais tout ça c'est super"
"mais dans un pays y'a pas que des petits soldats en plomb, y'a des gens : c'est les limites de l'économie et de Jacques Attali"

"même cette idée de fracture numérique, elle est en train de changer"
"le discours que je tiens tend à mettre en faute l'État dans sa manière de changer, et je me suis rendu compte d'un truc"
"pendant longtemps, la fracture numérique, c'était les zones blanches en Ardèche : on pensait purement réseau"
"et puis on s'est rendu compte que la fracture numérique, c'était les gens eux-même"
"des études de socio sont sorties : la fracture numérique frappe une population plus jeune que vous, ça s'est accentué ces 6 derniers mois, on appelle plus ça une fracture mais de l'illectronisme"
"la fracture numérique c'était la faute des institutions (acheter des tablettes aux collégiens) ; l'illectronisme, ça consiste à dire que malgré les moyens, les gens qui ne prennent pas le virage numérique ne le veulent pas vraiment"
on fait peser la responsabilité sur le citoyen dans l'inconscient collectif, "je suis pas sociologue mais je suis juriste"
"mais dans 2, 5, 8 ans, on va pouvoir adopter des règles juridiques impératives pour supprimer les guichets physiques ; les Maisons France Services, ne suis pas sûr qu'elles vont exister longtemps"
"vous pourriez faire un référent par département, qui a la liste de numéros pour appeler untel ou untel, mais quand j'en ai parlé en préfecture on m'a envoyé paître en disant qu'il fallait de l'argent pour ça et que de l'argent il n'y en a plus"

"si y'a autant d'intermédiaires qui ont de moins en moins de pouvoir, c'est aussi une problématiques de données : on ne peut pas laisser des contractuels accéder à toutes les fiches d'impôts de la population"

Chapitre 1 : L'identité numérique comme donnée

"tout découle de l'identité"

le concept d'identité numérique est insaisissable pour le droit : il n'existe pas à ce jour de définition satisfaisante
"satisfaisante" = transposition juridique dans un texte légal, global, qui permettrait d'appréhender toutes les facettes de la notion

il y a énormément de travaux d'infocom sur l"identité virtuelle", mais le droit n'arrive pas à s'en saisir
"quand on vous parle d'anonymat, comment on fait le parallèle entre l'identité personnelle et son prolongement dans le numérique ?"
ces travaux sont essentiellement fondés non pas sur l'infocom mais sur l'économie : Amartya Sen (Nobel éco 98) et la capabilité
= capacité effective à jouir de ses libertés, individuelles ou collectives
"là en tant que juriste, on pense à des concepts qu'on connaît :"

  • la liberté d'opinion (art 19 DUDH) et son corollaire la liberté d'expression (10 CEDH)
  • le droit à la vie privée (8 CEDH)
  • la liberté d'association (DDHC, loi 1901, etc.), "on a tendance à la minimiser, mais ça joue sur le lobbying"
    la capabilité vise à favoriser ces 3 grandes libertés

le droit consent à reconnaître l'identité numérique, mais il n'y consent que partiellement : que comme prolongement de l'identité personnelle
pourquoi ce choix du prisme des données personnelles ?

  • le droit ne distingue pas entre l'identité personnelle et "Zozo84 sur Call of Duty" : s'il s'intéresse à cette identité numérique, c'est pour mettre la main sur l'identité personne qu'il y a derrière, le fondement ("on pourrait dire un ersatz, un détournement") de l'identité numérique
  • le droit n'appréhende toujours que la donnée la plus concrète, et c'est toujours l'identité personnelle
  • il faut un prolongement et un rattachement à l'identité personnelle, "parce que le droit c'est pas la philosophie", "Zozo84 je ne peux pas lui faire payer d'amende, mais l'identité personnelle qu'il y a derrière, oui"

dans l'histoire des États, c'est la première fois que des entités (les GAFA) connaissent plus de choses sur la population que les États qui la gouvernent, "on pensait que ça n'arriverait jamais avant le numérique"
"on arrivait à détecter les épidémies de grippe beaucoup plus vite en lisant les infos de Facebook qu'avec les moyens historiques de l'État" : données sensibles au sens du RGPD
"si on achète les données, on fait entrer les GAFA dans le fonctionnement régalien de l'État, et je n'ai rien à répondre à ça : on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre"
"les Five Eyes se sont fait prendre la main dans le sac, j'ose espérer que la France faisait la même chose à l'époque, je préfère ne pas le savoir"

"je le dis, je l'assume, j'ai eu l'occasion de le voir de mes yeux alors que j'y croyais pas une seconde" : la finalité du traitement de données est strictement respectée dans la police et la gendarmerie, "vous ne croirez pas les niveaux d'authentification"
"mais dans le cas de Snowden, ça ne relève pas de ça : on est dans la lutte contre le terrorisme, y'a le tampon secret défense, dès lors y'a plus rien de public et ça c'est insurmontable"
"on ne peut pas faire un État qui pèse internationalement et être totalement transparent : c'est la maladie du moment la transparence, mais ça ne peut pas marcher partout, la transparence absolue ne peut pas exister"

"la "sécurité nationale" en France ça n'existe pas, c'est un terme américain"
"en France on a le secret défense et la sécurité publique"

il y a donc une nécessité pour les États de mieux connaître leur population
exemple de la loi pour une République numérique (2016) : ses seules notions liées à l'identité juridique sont le coffre-fort numérique et la lettre recommandée numérique, "pas exactement une révolution"
Loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (en cours) : "moi j'appelle ça la carte magique"
"j'ai participé à une audition en 2020 (...) toute la discussion a tourné autour de la reconnaissance faciale, y'avait que ça qui les intéressait"
"si c'est que pour FranceConnect, ça va, vous donnez déjà votre visage à Apple"
mais la finalité peut changer : exemple du FNAEG, "un fichier qui ne devait concerner que les pédophiles, et où il y a aujourd'hui 26,2 millions de personnes et 22% de taux d'erreur"

"vous savez qu'aujourd'hui, vous pouvez faire une demande auprès de la CNIL pour obtenir vos fichiers de police : faites-le"
"vous pouvez faire confiance à la CNIL, je connais très bien le vice-président"

"en 2000, les impôts qui fliquent les réseaux sociaux, c'était totalement illégal"
"et petit à petit, c'est devenu un serpent de mer, tout le monde savait qu'ils le faisaient, et ça a finit par devenir légal"
"vous voyez donc à quel point les choses peuvent évoluer et vite"
"quand c'est de la fraude fiscale je m'en fiche, mais quand c'est tout ce qui relève de l'intime au sens large, cette projection-là est importante, c'est ce que vous devez faire dans votre métier"

CEDH Marper contre R-U, 2008 : le gouv. britannique veut converser les données pendant 25 ans, la Cour dit : pas de proportionnalité entre l'infraction et la durée de conservation

"en numérique plus encore qu'en manière générale, le droit est systématiquement correctif"

en faisant de l'identité numérique un prolongement de l'identité personnelle, l'idée est de responsabiliser l'usager
"avez-vous l'impression que vos réactions sur les réseaux sociaux sont toujours réfléchies et raisonnées ?"
"la socio nous montre qu'on ne répond jamais à quelque chose, on répond à quelqu'un"
"parmi ceux qui postent des conneries, il ne peut pas y avoir que des gens qui ne se rendent pas compte de ce qu'ils font : ça montre bien qu'il y a une distorsion entre leurs identités personnelles et numériques"
le droit a besoin de cette responsabilisation, mais "il y a dix milles choses qui vont conditionner la teneur et la qualité de votre réponse ; c'est très intéressant pour la socio (et pour Google) mais ça n'intéresse pas les juristes"

le droit cherche à réduire la distorsion entre identités personnelle et numérique

les auteurs qui se sont intéressés à l'identité sur internet en ont distingué 3 dimensions :

  • l'identité numérique : l'ensemble des données techniques qui vont établir le parcours d'un individu sur internet (ex. adresse IP)
  • l'identité virtualisée : toutes les données relatives à la personnes qui vont être divulguées sur internet, tous les éléments, faits et propos qui vont permettre de caractériser la personne
  • et l'identité immatérielle : identité qui n'a pas d'autre existence que dans son immatérialité (avatars de jeu vidéo)
    "classification de chercheur, très classique" qui intègre des éléments d'infocom, de socio et de droit

il n'y a pas de définition étendue de l'identité d'une personne
il faut remonter à un texte de 1794 (an II) qui dispose que "chaque citoyen doit disposer sur son acte de naissance d'un nom et d'un prénom"
"vous voyez bien la pauvreté du droit par rapport à tout ce qui peut s'envisager en termes d'identité"

"de fait, pour un juriste, parler d'identité numérique, c'est un abus de langage"
FranceConnect "c'est un identifiant, pas une identité"
au sens large, l'identité numérique, c'est l'image ("les images, même") que l'individu se donne de lui-même sur internet
pour le droit, l'identité numérique ne peut être qu'un moyen numérique de preuve de l'identité (passeport électronique)

la classification de Fanny Georges (thèse de 2007) ("certains préfèrent celles de Cardon, certes, y'a aussi autre chose") distingue les identités déclaratives, agissantes et calculées

  • déclarative : tous les éléments déclarés par les utilisateurs
  • agissante : tout ce qui est indirectement renseigné par votre activité
  • calculée : produit d'un traitement de l'identité agissante
    c'est une sorte de synthèse entre les deux autres (surtout de l'agissante)

"cette classification colle avec l'usage actuel" : aujourd'hui, "la moindre PME peut collecter des données, mais pour en faire quoi ?"
"la collecte de données, je le maintiens, n'est pas très dangereuse en soi"
traitement statistique ("on le fait depuis des centaines d'années")/traitement algorithmique (biais algorithmiques, "on ne sait jamais exactement sur quoi on va tomber")
"le vrai enjeu du droit des données, c'est le traitement : c'est comment Amazon vous fait acheter des tas des trucs que vous ne vouliez pas achetez"
"et le RGPD ne favorise pas ça : si je l'applique strictement, j'interdis au maçon de mon quartier d'avoir un fichier client car il n'est pas sécurisé"
"80% de l'activité économique ne sera jamais en conformité avec le RGPD, et de toute façon ce n'est pas ces 80% qui intéressent le RGPD, il n'a pas été écrit pour ça"
"pourquoi le RGPD fait ça ? pour ne pas déclarer la guerre ouverte aux GAFAM, c'était leur premier signe de fermeture après deux décennies de laisser-faire"

"la première fois qu'on parle d'économie de la donnée en UE, c'est dans un projet de résolution de 1993, resté lettre morte, même après le virage des USA dans la 2e moitié des années 90"
"est-ce que ça signifie que les instances européennes étaient stupides ? non, c'est trop facile de dire ça, à cette époque l'économie de la donnée c'était de la science-fiction, comme la loi Informatique et libertés de 1978"
"en 1978 pour une fois, on a fait du droit préventif, on a anticipé des problèmes"
"le discours européen des années 90 était cohérent pour l'époque : on n'a pas les moyens, laissons les entreprises s'implanter, c'est le progrès, on n'en tirera que des bénéfices"
"à mon avis, même si des chercheurs disent le contraire, on ne pouvait pas anticiper l'importance qu'on pris les GAFAM au milieu des années 2000"
"c'était tellement de la SF de parler de tout ça aussi tôt, que les gens qui écrivaient dessus n'étaient ni des romanciers ni des chercheurs, on les appelait les futurologues"

Michel Durampart propose une classification liée aux usages et aux usagers : l'idée de réciprocité des effets du technique sur le social et du social sur la technique
son point de départ : les services proposés par le numérique amènent l'usager à de nouveaux comportements, les données récoltées liées à ces nouveaux comportements poussent les entreprises à générer de nouvelles opportunités de nouveaux services ("si vous avez aimé ça, vous aimerez ceci"), qui génèrent de nouveaux comportements, etc.
"Facebook n'a pas implémenté ce cycle, leur bénéfice s'est cassé la gueule, contrairement à Google qui dispatche davantage son budget dans l'innovation"

(ça parle trop mal de BlackBerry je peux pas noter ça)

"chaque fois qu'on pense avoir fait le tour des données collectées, on en trouve d'autres à collecter" (montres connectées)
"on m'a fait écrire des conditions d'utilisations les plus floues et les plus vagues possibles, mais au moins l'avantage c'est que je sais comment les attaquer"

"j'aurais jamais cru dire ça un jour, mais Hadopi était une loi géniale"
"pour une fois, on vous dit : on va faire un peu de pédagogie, on va vous laisser faire des conneries, on va vous prévenir une fois, deux fois, et si ça suffit pas on va vous tomber dessus ; voilà l'exemple d'une législation préventive et intelligente"
"si tout le monde s'est foutu de la gueule de Hadopi, c'est que la loi est arrivée beaucoup trop tard ; si elle avait été adoptée plus tôt, ça aurait tout changé"

"l'avocat de Zazie est un de mes potes, elle a fait 5000€ de dommages/intérêts en poursuivant des centaines d'ados qui mettaient ses paroles de chansons sur leurs blogs"
"quand y'a pas de cadre juridique, c'est le far west : je sors le code de la propriété intellectuelle, hop jurisprudence Zazie ; un pauvre instit de 25 ans avec une fillette de 1 an se fait réveiller à 6h du mat, prend 48h de GAV, 3 ans plus tard il a 1 an avec sursis et 45000€ d'amende pour avoir téléchargé des chansons" (CA Aix 2007 ? "je vais la retrouver")
"les petites affaires de Zazie se sont arrêtées instantanément le jour où on lui accordé 1€ de dommages/intérêts au tribunal de Bobigny : et ce frein à main, il a été tiré par les magistrats"
"ça pose un problème de sécurité juridique : au bout de 2 ans, le législateur voit que le magistrat ne sanctionne plus dans aucun tribunal de France (le juge est souverain en France, il n'y a pas de peine plancher), là il se réveille"
"cet espèce de laisser-aller du législateur dans les années 2000, depuis cette histoire ça a fait jurisprudence"

"l'inertie du législateur a hypothéqué toute la lutte en matière de protection des œuvres de l'esprit, et elle les hypothèque encore"
"on a vendu du matériel hors de prix aux jeunes des années 2000 pour leur dire qu'ils n'avaient pas le droit de s'en servir"

Chapitre 3 : irruption dans l'espace public

la loi Informatiques et Libertés invente le concept d'autorité administrative indépendante : la CNIL est la toute première AAI
on a besoin d'inventer un nouvel intermédiaire entre l'usager, le législateur et le juge : à l'époque, pour un juriste, c'est inédit, "révolutionnaire, génial"
dans les 30 ans qui ont suivi, on a crée 29 autres AAI
"il a fallu adopter une loi en 2017 pour les réduire"
"on a fait disparaître plein d'AAI, mais en même temps on n'a fait qu'accroître les pouvoirs de la CNIL" : "est-ce que vous estimez que c'est le rôle d'une AAI de coller des amendes à 150 millions d'€ ?"
"j'aime beaucoup la CNIL, mais pour moi ce n'est pas son rôle : le médiateur de la donnée est devenu le policier de la donnée"
"l'Arcom voudrait reprendre un rôle central sur la donnée, il y a une lutte intestine entre les ministères"

hors cours

j'ai l'impression que Bardin est ici en désaccord avec Koumpli (voir RGPD (cours) et sa question au séminaire sur la modération des contenus ("la CNIL ne sanctionne jamais")
du coup au même moment, j'ai posé une question similaire sur Mastodon

depuis, tous les états européens se sont basés sur la loi Informatique et libertés
la directive 95/46/CE de 1995 est "une belle transposition de la loi Informatique et libertés"
on a depuis amendé la loi de 1978 pour transposer le RGPD mais elle reste le texte de référence

"j'aurais pu vous citer la directive du 12 juillet 2002 (2002/58/CE)" qui couvre certains champs laissés de côté par la directive de 1995
"et aussi celle du 15 mars 2006 (2006/24/CE), le grand texte initial sur la conservation des données", invalidée en 2014 par la CJUE (Digital Rights Ireland) car jugée "trop extensive, disproportionnée"

directive de 1995, 3 éléments majeurs à encadrer : marchandisation, internationalisation, traçabilité

  • la marchandisation des données : nouveauté par rapport à 1978
    à l'époque, ça ne concernait que des données administratives ou éventuellement policières, "et encore à l'époque ça n'inquiétait que les journalistes"
    en 1995, on voulait réglementer un écosystème d'une multitude d'opérateurs ("vous n'avez pas connu cette époque, quand Amazon n'était qu'une librairie en ligne") ; "aujourd'hui, l'écosystème c'est 4 entreprises, et la RGPD on a mis des trucs vagues dedans mais on sait très bien à qui elle s'adresse"
    "regardez même la manière dont les GAFAM se restructurent, Alphabet et Meta : c'est aussi un moyen d'éviter certaines législations (l'impôt mais pas que)"
    "cette volonté du RGPD de tout couvrir y compris les fichiers du garagiste, c’est souvent critiqué, oui c'est ridicule, mais entre nous on s'en fout"
    "en 1995 on est vraiment aux prémisses de l'économie de la donnée, et l'UE n'est pas idiote, elle suit de près le virage économique que sont en train de prendre les USA"

  • l'internationalisation des flux, "ça aussi on s'en moquait un peu, une fois qu'on avait protégé les données régaliennes"
    à partir du moment où ça devient un bien marchand, un écosystème mondial se crée, et la projection sur l'internationalisation devient indispensable
    ce qui pose deux questions : d'une part, l'identification des entités appelées à accéder aux données ("qui va manipuler ces données") ; d'autre part, la localisation des données pour déterminer le droit applicable ("qui peut contrôler")

"je dis ça sans jugement de valeur, mais il y a des cultures juridiques : le juge de comté de Triffouily-les-Oies dans l'Alabama, il est élu, et le shérif du coin, il est élu"
"je le dis souvent, dans 20 ans il ne restera rien du mandat de Trump, rien, sauf 20 kilomètres de mur à la frontière mexicaine - et les juges de la Cour suprême, nommés à vie, où là il faudra de 50 à 70 ans pour s'en remettre"
"sauf si un avion s'écrase avec plein de juges dedans, mais même ça c'est impossible car ils ont pas le droit de voyager ensemble"
"je ne remets pas en cause le système démocratique américain, je dis que le système de contrôle n'est pas le même, d'où l'intérêt de s'intéresser à l'internationalisation des flux"
"regardez le virage en 2001, la surveillance de masse, c'est octobre 2001, au nom de quoi ? de la lutte contre le terrorisme"
"contrairement à ce que tout le monde dit, les documents de Snowden, c'est des ramifications illégales d'une procédure qui elle a bien une base légale"
"imaginez un monde post-11 septembre où il n'y aurait pas eu de loi informatiques et libertés, de directive de 1995 ; les atteintes à la constitutionnalité, à la liberté, auraient été encore plus graves ce que qu'on a eu déjà"

  • les questions de traçabilité : c'est ce qu'Internet rend possible à cette époque
    "pendant longtemps on a été limité par la technique, aujourd'hui on a des capacités de traitement quasiment sans limites"
    "quand je vois les milliards que la recherche militaire met dans les technos quantiques, je me dis qu'ils vont finir par trouver quelque chose, et là ce sera un autre problème"
    notion plus large de trace : toute activité en laisse, de manière plus ou moins directe
    "à l'origine, le fichage permettait de savoir qui vous êtes ; aujourd'hui, il permet aussi de savoir ce que vous faites et quand vous le faites"

la directive de 1995 s'accompagne aussi d'un renforcement des pouvoirs et des sanctions des autorités de contrôle nationales (comme la CNIL)
"c'est la source de cette évolution de l'AAI vers un rôle de juge sans être juge, c'est né quasiment là"
la loi de 1978 distinguait entre le caractère public ou privé d'une donnée ; la directive de 1995 remplace ce critère par le degré de sensibilité, apprécié au regard :

  • de la finalité du traitement
  • et de la nature des informations
    "en 1995 on réalise pas ; aujourd'hui, vous la faites cette connexion, vous voyez bien que le distinguo de 1978 n'avait pas de sens"
    "est-ce que ça intéresse Google de savoir que vous avez un cancer ? non ils s'en foutent, ils veulent juste vous vendre des chaises ; mais les assurances, les banques, oui, et c'est bien de la donnée commerciale"
    "ce changement de finalité est au cœur du système de protection des données"
    "et ce qui est inédit dans l'histoire des sociétés humaines, c'est que ça touche tous les domaines en même temps : marchand, régalien, économique... et ce avec une multitude de données"

le changement de paradigme de la directive de 1995, "le législateur français a un peu de mal à s'en imprégner"
la directive ne sera transposée qu'avec la loi du 6 août 2004 : pourquoi ?
"je ne sais pas si c'est un compliment ou une critique" : pendant longtemps, ce changement de finalité a été vécu par le législateur français comme une atteinte à la démocratie ("ah non non nous en France on ne fiche jamais les données sensibles voyons")
"au moins le législateur se pose la question de l'acceptabilité : vous me direz ce n'est que de la philo, mais ça conditionne l'activité législative, toute la répression pénale repose là-dessus"

depuis la loi de 1978, "on a tout de même été largement dépassés par d'autres pays"
par ex : le droit à la protection des données personnelles est formellement consacré dans la loi fondamentale allemande, alors que ce n'est pas inscrit dans la Constitution française (c'est formellement protégé depuis la décision du Conseil constitutionnel du 22 mars 2012 relative à la carte d'identité biométrique)
"l'effet cliquet des décisions du CC, ça vous parle ? c'est pas grave, mais sachez que tout le socle de libertés vient de là"
"quand j'enseigne le contentieux constit, je dis que l'effet cliquet n'existe plus, mais attention : à proprement parler, il n'y a pas d'automatisme dans l'effet cliquet, mais dans des notions aussi importantes que les données personnelles, il existe encore"
"sauf si le modèle démocratique est en train d'évoluer, ce que je crains mais dans ce cas la décision du Conseil serait inconstitutionnelle"

hors cours

Koumpli nous précise que le concept exact consacré par la cour constitutionnelle fédérale allemande en 2006 est l'autodétermination informationnelle

Chapitre 4 : Data, big data, open data

"data" = pluriel du latin datum, "chose donnée"
mais les "data" sont tous sauf données, certains scientifiques (comme Bruno Latour) suggèrent qu'on parlent de capta, de choses prises
"bon ce n'est pas aussi manichéen que ça, on a commencé par accepter qu'on nous les prenne"

mesurer n'est pas la même chose que quantifier :

  • mesurer, c'est déterminer directement une valeur, "c'est un thermomètre"
  • la quantification exprime et fait exister sous forme numérique ce qui était auparavant exprimé par des mots, et non par des nombres

ex. indice des prix de la consommation : quel bien je dois choisir ? quel consommateur je dois viser ? comment je choisis la pondération ("qu'est-ce qui est le plus important, le jambon ou le sucre ?") ?
il faut hiérarchiser tout ça pour arriver à une quantification qui semble juste
"on en revient à des questions de socio : est-ce que les ouvriers et les cadres consomment la même chose ?"
les données brutes sont incompréhensibles ; la donnée obtenue est à proprement parler incompréhensible, mais elle devient pertinente lorsqu'elle est contextualisée (avec le salaire moyen, la géographie, les catégories socio-professionnelles) : "et là je fais du traitement de données"

"tout ce qui tourne autour des données prouve que les données brutes sont incompréhensibles"
"vous avez déjà essayé de télécharger un jeu de données de data.gouv.fr ?" ("le RNE est super drôle quand même, vous l'ouvrez, vous regardez 10 minutes, vous avez mal au crâne, vous le refermez")

la collecte de données implique de fait la constitution de banques de données
l'explosion de la collecte a donc entraîné l'explosion des banques de données, et donc de la quantification
"le seul moyen d'accéder aux jeux de données avant data.gouv, c'était de le louer aux boîtes privées"
"une grosse partie de l'économie numérique, c'est que je l'appelle de l'économie de présentation"
"au moins, les sociétés doivent fournir cet effort qu'elles ne fournissaient pas avant data.gouv"

les silos de données, c'est "le 4e âge de la révolution du numérique"

hors cours

la notion de "4e âge" semble venir de François Pellegrini :

Le premier est l'âge de l'ordinateur (1950-1970), qui a vu l'arrivée sur le marché des premiers ordinateurs commerciaux, au service des administrations et des grandes entreprises.
Le deuxième est l'âge du logiciel (1970-1990), au cours duquel les « programmes informatiques » deviennent des « logiciels », biens non rivaux dotés de leur marché propre, découplé de celui des ordinateurs.
Le troisième est l'âge des réseaux (1990-2010), au cours duquel le déploiement et la démocratisation de l'Internet et des autres réseaux numériques (tels que la téléphonie mobile) ont conduit à l'interconnexion forte des personnes et des organisations, permettant la création de biens communs numériques (logiciels libres, Wikipedia, etc.) mais aussi des grands silos de données (les « GAFA » (...)).
Le quatrième, enfin, est l'âge de la donnée (2010-. . .), concomitant de l'émergence des objets connectés, dans lequel le logiciel, autrefois leur maître, devient le serviteur des données puisque, dans le cas des logiciels auto-apprenants, son comportement est directement modifié par elles

avec de telles quantités de données, la quantification ne peut plus être humaine, elle est nécessairement algorithmique ("c'est ce qu'on appelle l'IA aujourd'hui")

la différence entre les statistiques (= traitement déductif) et l'IA (= le traitement algorithmique inductif), c'est que "je ne sais pas ce qui va sortir"
"c'est pour ça que je refuse d'appeler ça "intelligence"', ce n'est rien de magique, ça ne se fait pas tout seul"

"quand vous demandez un permis de construire, il vous est octroyé en fonction du bâti, du terrain, il y a des règles juridiques : dans 80% des cas, il n'y a pas de subjectivité dans la décision, elle dépend du PLU et de la situation géographique"
"pour tout ce qui concerne ces décisions mathématiques, vous n'avez pas besoin d'humain, le traitement algorithmique fait ça très bien", "autant filer un boulot moins chiant à l'humain derrière"

en 5 ans, le volume de données est multiplié par 2
depuis 2016, il est doublé tous les 2 ans
"je suis presque étonné qu'on puisse encore le quantifier", "il n'y a plus de frein technique"

Test

à propos du "moratoire anti-IA", l'avis de Timnit Gebru : https://www.politico.com/newsletters/digital-future-daily/2023/04/11/timnit-gebrus-anti-ai-pause-00091450
Bardin : "c'est un point de vue d'informaticien, moi j'ai un point de vue de juriste"

"on a fait un déjeuner il y a 15 jours avec le directeur Europe de la recherche à Google, c'est à l'américaine, vous ne déjeunez pas, vous discutez"
"le type vous dit très poliment - car il est anglo-saxon - vous avez raison il faut encadrer le traitement des données, et voilà fin de la conversation, il ne va pas nous ouvrir sa porte"
"les anglo-saxons aiment la régulation, nous on aime la législation, quand c'est obligatoire"

par définition, les big data sont souvent ("voire tout le temps") la propriété de ceux qui les collectent
leur traitement est souvent une sorte de "boîte noire entre guillemets"
"les données ouvertes, ça sert à ça en fait : on peut vérifier ce qui se passe et ce qui arrive en sortie"

  • certains auteurs ("Cardon a dû le piquer à un juriste") font reposer la législation sur les données publiques sur l'article 15 de la DDHC de 1789 : "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration"
    "quand je dis "maladie" de la transparence, attention, c'est bien la transparence, c'est une logique qui fait progresser la démocratie, je dis simplement qu'on ne peut pas l'ériger en principe absolu"
    "vous êtes en master, je peux me permettre des écarts de langage"
  • plus récemment, loi du 17 juillet 1978 créant la CADA : à compter de cette loi, tout citoyen pouvait demander à l'admin d'avoir accès aux informations produites dans le cadre d'une mission de service public
    mais : l'admin n'est pas tenu de mettre ces infos à disposition automatiquement, "c'est pas encore les données ouvertes"
    "l'instruction par la CADA des demandes d'accès, c'était un enfer : vous commencez par faire une demande, ils commencent par mettre 6 mois, ils commencent par répondre non"
    au milieu des années 2000, sous l'impulsion des politiques de transparence ("du Parti socialiste"), le terme "administré" disparaît au profit d'"usager" : l'administré est géré par l'admin comme bon lui semble, l'usager fait usage de - et donc a des droits
    "d'un coup, à partir de là, l'accès aux documents administratifs se démocratise, et c'est significatif d'un changement de conception de l'administration"
  • loi pour une République numérique de 2016 : oblige les administrations à mettre par défaut les données publiques en ligne

l'open data concerne donc essentiellement les données produites par l'État central, les collectivités et certaines entreprises publiques, "on ne va pas forcer les entreprises à rendre publiques des données qui n'ont pas vocation à l'être"
"et même ça" : pour arriver aux données telles qu'elles sont mises en ligne, même "brutes", il faut du traitement, et ça a un coût ("et ça ne rapporte rien")
il faut rendre les données lisibles, ensuite il faut trier pour retirer ce qui n'a rien de public
anonymisation : la logique marche, mais l'agrégation des données risque de la mettre à mal

Chapitre 5 : Les enjeux de la protection des données

"on a beaucoup discuté de ces enjeux de la protection des données, j'aimerais faire un résumé" :

  • prioritairement, c'est l'idée de mondialisation : internationalisation des flux, fermes de données, paradis de données ("dans le nord de l'Europe, au Moyen-Orient, on vous pose pas trop de questions")
    "c'est marrant qu'on utilise du vocabulaire lié à la fraude fiscale et au trafic de stupéfiants"
    externalisation informatique : pour la modération de contenus illégaux
    "pendant longtemps, j'ai pensé que toutes les données n'avaient pas de valeur"
    "en observant comment travaillaient Google et consorts, j'ai réalisé que les données sans valeur, ça n'existait pas : il n'y a que des données qu'on n'a pas encore exploité"

  • deuxième enjeu, la "vague technologique" (Alex Türk, ancien directeur de la CNIL "et père du juriste de talent Pauline Türk") : développement exponentiel des technologies actuelles ("ne les appelez pas "nouvelles technologies" par pitié, elles ne sont plus nouvelles depuis 25 ans")
    l'écart s'étend entre le temps technologique qui accélère sans cesse et le temps juridique, qui est incapable d'accélérer ("à part si je suis Elisabeth Borne et que j'aime beaucoup le 49.3")
    "vous avez vu le temps que ça prend de faire une loi contre les fake news, loi que je n'arriverai pas à la qualifier poliment donc je ne la qualifierai pas" ("ça et la loi Avia, quel naufrage juridique, j'ai eu honte")
    le droit est souvent correctif, il l'est presque toujours avec le numérique, il faut bien constater le fait social avant de pouvoir réagir juridiquement, "et ça prend un temps fou"
    "ce n'est pas inéluctable, le Parlement pourrait adopter des lois d'habilitation, mais vous imaginez la réaction politique"
    "j'ai des collègues qui ne sont pas du tout d'accord avec moi, mais je suis pour une procédure d'adoption accélérée de la loi, on pourrait descendre à 1 mois et demi/2 mois"
    "c'est pour ça que je dirige un master "droit du numérique" alors que je pense que le droit du numérique n'existe pas : je pense que la solution juridique elle est là, au moins moi je propose un truc"
    le traitement de la donnée est de plus en plus invisible : on génère tous de la donnée ("donnée ou prise") sans s'en rendre compte

  • la vague sécuritaire : "j'ai parlé du virage du 11 septembre 2001, et je parle vraiment de virage, je suis certain qu'on en parlera encore dans 100 ans"
    "avant 2001, quelle que soit la démocratie dans le monde, tout en haut de la société, il y a la protection des droits du citoyen, dont la vie privée ; après 2001, la sécurité remplace la vie privée et reprend sa position ancestrale"
    "avant octobre 2001, on ne décrète pas qu'on va faire de la surveillance de masse"
    affaire PRISM : "on s'en doutait avant, désormais le doute n'est plus permis"

en 2013, en réaction à PRISM, le Groupe Article 29 ("en gros, c'est la super-CNIL européenne") pose le principe d'un nécessaire équilibre entre protection des données personnelles, innovation et surveillance : dispositifs ciblés et non-massifs
"si on n'a pas encore abandonné le ciblé et non-massif, ça y ressemble fortement"

national security anglo-saxonne et défense nationale européenne : "nous, on a une conception très permissive de l'ordre public"
"en gros, c'est une forme de quiétude : tant que vous ne perturbez pas, vous êtes dans l'ordre public" ; "chez les anglo-saxons, il n'y a pas seulement ce que vous faites, c'est aussi ce que vous êtes"

à cause de la lourdeur procédurale et du déséquilibre entre les parties, "dans 90% des cas y'a pas de procès : ça, c'est une véritable problématique de droit"

Chapitre 6 : La souveraineté numérique

pourquoi en parler ? parce que "c'est une problématique de production, de gestion, de détention des données"
"aujourd'hui, on parle d'enjeu géopolitique des données : si un pays aujourd'hui ne fait pas du traitement de données, il a un sérieux problème"

3 applications de cette souveraineté numérique dans le cyberespace :

  • les USA en tant que modèle originel
  • la tentative de rattrapage de la Chine
  • "la grande intelligence des Russes", "je sais qu'il faut pas dire du bien de la Russie en ce moment mais voilà"
    Info

    sur ce sujet : ce billet d'Hubert Guillaud mentionne notamment "Géopolitique du numérique" d'Ophélie Coelho et "Digital Empires" d'Annu Bradford

une multitude de définitions, "on va plutôt distinguer des approches" :

  • Bernard Benhamou, "la première fois que j'ai lu le terme, c'était dans un article cosigné par Benhamou, en 2006"
    pour Benhamou, souveraineté numérique = "capacité à maîtriser l'ensemble des technologies, tant d'un point de vue technologique que social et numérique"
    "l'idée de maîtrise globale est novatrice pour l'époque"
  • Pierre Bellanger ("oui c'est le patron de Skyrock"), "La souveraineté numérique" (2014)
    contrairement à Benamou il fait un premier positionnement : il considère qu'Internet doit conduire à une extension de la république dans le cyberespace
    "c'est aussi mon point de vue perso" : les États revendiquent les mêmes droits dans le cyberespace qu'ils ont sur leurs frontières, leur population, etc.
    - un des premiers éléments que Bellanger met en avant, c'est l'égalité, qu'il lie à la neutralité des réseaux, qui a vocation à servir la liberté des expressions des citoyens

"voilà grosso modo les premières approches françaises, assez classiques" : plutôt économiques

  • Pierre Trudel, "une approche que j'aime beaucoup" : la souveraineté numérique est liée à la capacité de certains acteurs à se faire obéir, à imposer leurs lois dans l'espace public
    "c'est pas idiot : une des qualités d'un État, c'est d'imposer sa souveraineté"
    "et aujourd'hui, qui impose ses règles ? les États vont vous dire c'est nous, Google vous dira c'est moi ; en l'état, je pense que c'est plus Google que l'État français"

"forcément, je suis juriste, je pense à l'État", mais "il n'y a pas que les juristes qui s'intéressent à la souveraineté numérique"

cette classification par approches tripartite, on la doit à Pauline Türk, "à laquelle je vais rajouter une approche politique" :

  • approche étatique : "là je parle bien de souveraineté classique", les instruments de la souveraineté deviennent indissociables des technologies numériques
    mais ça pose des problèmes : comment se faire imposer au-delà de nos frontières ?
    est-ce que cette revendication de reprise est vraiment liée aux qualités intrinsèques que doivent tenir tous les États ? "non", "c'est lié aux incapacités des États de lutter contre la souveraineté numérique des États-Unis"
    12 novembre 2018, appel de Paris (mis en place par l'ambassadeur du numérique français) : déterminer des règles de bienséance dans le cyberespace, "ça a été extrêmement intéressant"
    à l'issue de la conférence, les USA et les Five Eyes disent : on va pas signer
    les autres pays s'en sont servis pour les montrer du doigt : regardez, ce pays important ne joue pas le jeu, "c'est du bashing et ça a toujours bien marché en droit international"
    "la régulation du cyberespace ne se fera qu'en droit international : le droit de l'UE, quand on est américain, c'est une forme de droit international, c'est un droit de l'influence"
    "ça fait mal de le dire alors qu'on est en pleine guerre avec la Russie, mais le droit international, ça a plutôt bien marché jusqu'à aujourd'hui"
    c'est aussi du droit interne : la mise en œuvre d'une politique interne dans un État, "les meilleurs exemples c'est la Chine, la Russie, la Corée du Nord ; tous ceux qui ont une conception autoritaire de la souveraineté se sont dotés d'une armada juridique sans précédent pour tenter de contrôler cette souveraineté numérique"
    "quand la Chine décrète en 2017 que toutes les données produites sur le territoire chinois seront dorénavant stockées sur le territoire chinois par des sociétés chinoises, les grands défenseurs de la liberté que sont les GAFAM ont fait quoi ? ils ont passés des accords avec les Chinois"
    l'approche européenne du début des années 90 est "libérale défensive" : au milieu des 90s, il n'y a pas d'écosystème en Europe, donc on laisse les sociétés américaines se développer en Europe pour faire bénéficier les citoyens, les États se réservent le droit de défendre les citoyens s'il y a malveillance
    "jusqu'au moment où y'a l'affaire Snowden : l'UE l'a pas vu arriver, ils s'en doutaient mais pas dans ces proportions"
    "d'autres disent qu'on avait pas les cerveaux pour faire ça à l'époque : je n'en suis pas sûr, on avait les cerveaux et on les a laissés fuir"
    "demandez à vos enseignants, à un moment ou un autre on a tous été approchés par Google, à des prix défiant toute concurrence"

"y'a un bouquin sur Cambridge Analytica qui est très bien fait, qui s'appelle "Mindfuck", un des ingénieurs de l'époque"

"depuis la RGPD, on sort un règlement ou une directive tous les 3 mois, et c'est bien"

  • approche économique : la souveraineté du point de vue des opérateurs économiques
    parce que justement, ce sont les GAFAM qui ont le pouvoir de fixer les règles : "pour les CGU, c'est vrai, puisque les utilisateurs ne peuvent pas se passer de ces services"
    monnaies virtuelles : "aujourd'hui, toute la bataille entre les États et les sociétés transnationales, ça tourne autour de ça"
    "si je l'encadre bien juridiquement, la monnaie virtuelle, c'est jamais qu'un ticket restau ; est-ce que vous ferez la révolution avec des tickets restau ?"

  • approche libérale : l'idée de souveraineté numérique des utilisateurs, plus individualiste
    "ce dont je vous parle là, c'est la retranscription numérique de la souveraineté populaire" => l'autodétermination informationnelle
    "je ne parle pas de l'utilisateur, mais des utilisateurs : tout est une question d'influence, c'est l'empowerement, ça ne se pense pas individuellement"
    "j'en étais pas convaincu au début, j'ai discuté de ça pendant des heures avec Pauline Türk, mais maintenant je pense que ça peut marcher, je suis intimement persuadé que ça peut marcher"
    "c'est limite même plus simple avec les GAFAM qu'avec les États : dans les relations avec les États, y'a du non-rationnel, la manière dont Poutine et Orbán dirigent leurs pays n'a rien de rationnel ; les sociétés transnationales, elles ont un modèle économique elles"

  • approche politique : "pas issue de la classification de Türk", c'est la souveraineté des citoyens
    la modernisation de la démocratie aujourd'hui passe par le numérique : les campagnes électorales, la capacité à s'informer, à contrôler, la question du vote
    "avant, pour lire le journal officiel, fallait trouver la version papier à la BU : aujourd'hui, j'en sais plus que ce que le journaliste du 20h va me dire"
    M5S en Italie, "ça n'aurait jamais été possible sans le numérique, l'accès au pouvoir est devenu rapide"
    "et je donne toujours le même exemple" : Emmanuel Macron, "qui n'a été ministre que pendant 14 mois et n'avait aucune structure politique pour le soutenir quand il a déclaré sa candidature ; il a fait comme Obama en 2006, une stratégie de campagne numérique"
    think tanks : "ça existe depuis 50 ans, mais on n'y trouvait que des profs à Paris ; si ça c'est démocratisé en France depuis 10 ans, c'est à travers le numérique"

au niveau international, la question de la souveraineté numérique se pose avec la création en 1998 de l'ICANN : société californienne à but non lucratif
mais "immédiatement mise" sous contrat avec les ministères US du commerce et de la défense
avant, "vous aviez en gros 4, 5 associations qui s'occupent des noms de domaine de 1er niveau"
"non seulement les américains dégagent toutes ces associations, ils créent l'ICANN et ils excluent tous les pays étrangers" : dans la première version de l'ICANN, les autres États sont "repoussés" dans un comité consultatif
cette situation dure jusqu'en 2009, où on augmente le pouvoir du comité consultatif
puis le point de bascule, l'affaire Snowden : en 2014 l'administration Obama ("qui a très très bien négocié alors qu'ils étaient dedans jusqu'au cou") annonce que le contrat avec l'ICANN s'arrête en 2016 et qu'il ne sera pas renouvelé
"par contre il faut renouveler toute la gouvernance de l'ICANN" : la crainte des USA, c'était que la Chine ou la Russie mettent la main dessus comme eux l'avaient fait précédemment
2015 : l'ICANN devient un organe indépendant géré par une communauté mondiale des acteurs d'internet, "plutôt une approche démocratique"
est-elle réellement démocratique ? "non, ces acteurs du net c'est les GAFAM, leur main-mise a remplacé celle du gouvernement fédéral, et dans les compte-rendus de réunion c'est palpable"
"le problème n'est pas réglé mais c'est toujours mieux que la situation d'avant : le contrat avec le ministère de la défense exigeait que certaines choses ne soient pas publiques, au nom de la national security, au moins on a gagné en transparence"

au niveau national, "on a commencé à utiliser l'expression "souveraineté numérique" avant même de savoir ce qu'elle voulait dire"
Michèle Alliot-Marie (ministre de l'Intérieur), 2009 : "garantir la souveraineté numérique, étendre à l'espace numérique l'état de droit"
"c'est une phrase politicienne, ça n'a pas de sens"
la notion est vulgarisée avant d'en avoir défini les contours
puis Snowden : en 2014, création des Assises de la souveraineté numérique, de l'Institut de la souveraineté numérique, qui publie Les Cahiers de la souveraineté numérique, "allez les lire c'est très pluridisciplinaire, y'a des choses très très bien"
"en France, pour penser le numérique, on a d'abord analysé les choses sous l'angle économique" : les membres du comité scientifique de l'Institut sont tous issus du monde économique
"ça n'aide pas à favoriser une approche citoyenne, voire une approche des utilisateurs : si je dois caractériser la France, c'est par cette approche qui privilégie l'économie numérique, mais je ne le critique pas forcément hein"

Info

Les publications de l'Institut de la souveraineté numérique ne semblent plus accessibles ? http://www.souverainetenumerique.fr/travaux-publications

Couches du cyberespace

la maîtrise des données est devenue un vrai enjeu de géopolitique : aujourd'hui, il faut maîtriser ses données et celles des autres
c'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que l'enjeu stratégique a été crée de toutes pièces par la main de l'homme ("avant c'était la terre, la mer, l'espace, tout ça existait avant")
comme pour les autres enjeux, c'est un espace à conquérir ou à défendre, c'est un espace où l'État va chercher à exercer sa puissance

les confrontations dans le cyberespace sont en grande partie immatérielles, hors des frontières, dans un espace à proprement parler sans territoire
et pour autant, il n'est pas sans matérialité : le numérique est immatériel, le cyberespace a une dimension partiellement matérielle

"y'a des études qui trouvent cinq couches, j'en ai trouvé une qui a 11 couches, j'ai pas encore tout compris à celle-là"
"pour une approche socio-juridique, 3 couches me suffisent largement" :

  • la couche matérielle : serveurs, routeurs, câbles qui permettent l'interconnexion des machines ("Internet c'est pas du vent et de l'air")
  • la couche logicielle : tout ce qui va permettre aux machines de communiquer entre elles (les "interactions machine-machine" ou "homme-machine")
  • la couche sémantique ou informationnelle : toutes les informations qui vont transiter par les 2 premières couches
    Info

    Bardin a mis en annexe l'article qui décrit ces trois couches : Anthony Namor, "La conquête des routes numériques" (qui cite "Attention : Cyber !" de Dossé et Bonnemaison) :

    En réalité, le cyberespace, entendu comme « le maillage de l’ensemble des réseaux permettant l’interconnexion informationnelle des êtres vivants et des machines », est le maillage des routes de l’information. Celles-ci peuvent être définies au prisme des trois couches du cyberespace (...)

Positionnement des États

États-Unis

80% des communications circulent par des câbles sous-marins reliés à des serveurs racine
84% de ce câblage appartient aux États-Unis
plus de 90% de ces serveurs racines appartiennent au DoD
"les USA ont structuré toute leur vision géostratégique et commerciale sur cette architecture : ça revient à dire que pour être le roi de la chaussure, il suffit de détenir tous les magasins de chaussure"
en commençant par "ce qui est le moins contestable" : la couche matérielle, la plus coûteuse, "la pression est extrêmement forte"
les USA laissent à l'action privée l'essentiel des couches logicielles et sémantiques, "ce que les GAFAM font extrêmement bien, et les USA les ont financées pendant une décennie"
depuis le début des années 2010, le gouvernement ne finance plus de câbles : "Google et Facebook les font pour lui"

le contrôle des données devient l'axe prioritaire des USA pour deux raisons :

  • le redéploiement économique, structuré autour des géants du numérique
  • la stratégie américaine de sécurité
    après 2001, toute la stratégie repose sur la collecte et le traitement de données, avec des pouvoirs extrêmement importants confiés à la NSA, "et les dérives qu'on connaît et qui ont été dénoncées par Snowden en 2013"

"un des grands fantasmes des européens, c'est de faire une DARPA européenne, ce qui à mon sens est impossible car on n'a pas cette porosité entre les acteurs"

au-delà de cette stratégie globale, "deux facteurs inattendus" vont favoriser l'émergence :

  • la crise bancaire de 2008 : les entreprises les plus faibles disparaissent, celles du numérique sont rachetées par les géants du numérique
    "Alphabet a explosé à ce moment-là"
  • l'effet de réseau (cf. Marrel) : l'écosystème est "rapidement décimé au profit d'une 15aine de sociétés"

la conception américaine, c'est de casser les monopoles
"mais assez curieusement, dans le domaine du numérique, les critiques ne sont intervenues que vers 2015-2016, pas avant" : plus les GAFAM ont pris de l'ampleur, "moins elles ont été obéissantes"

la frontière entre les GAFAM et l'État américain est particulièrement poreuse :

  • entre 2005 et 2016, Google a embauché/débauché ~200 membres ou anciens membres du gouvernement fédéral, principalement dans des postes de lobbyistes ; dans le même temps, ~100 anciens de Google ont rejoint le gouvernement fédéral
    "en France ce serait un problème, pas aux États-Unis"
  • budget annuel du lobbying chez Alphabet : 70 M$
    82% des lobbyistes d'Alphabet travaillaient à la Maison-Blanche, dans une agence gouvernementale, ou au Congrès
    "pour certains auteurs, ce n'est plus une concurrence entre l'État et les GAFAM, c'est une fusion"
    "en tant que Français on s'insurge, mais c'est une autre conception du lobbying : pour moi y'a rien qui me choque, au moins c'est transparent, on ne fait pas comme si ça n'existait pas"
    de par la conception du système, les deux parties sont amenées à se rencontrer, "et les ricains quand ils voient la façon dont c'est compartimenté chez nous, ça les fait marrer"

2015, "premières tensions" avec Apple, après la tuerie de San Bernardino : le FBI demande les clés de chiffrement de l'iPhone, Apple refuse
2016 : Microsoft refuse de livrer des courriels d'un trafiquant de drogue, sous prétexte que le serveur est en Irlande
2018 : Cloud Act, la réponse du gouvernement à ces sociétés :

  • la loi facilite l'obtention de données stockées ou transitant à l'étranger (à conditions qu'elles transitent par des opérateurs américains)
  • les entreprises numériques "se doivent d'accepter la pleine et entière souveraineté numérique des États-Unis"

"ça n'a pas tout réglé"
2019, après Cambridge Analytica : Microsoft auditionné par le Sénat français, "le mec fanfaronne, ne notez pas la phrase exacte mais j'ai compris ce jour-là que Microsoft se posait en entité indépendante du gouvernement fédéral"

décret exécutif 140-36, "une des premières décisions importantes de Joe Biden" : il intime l'ordre à la FCC de rétablir la neutralité du net (suspendue par Trump)

2023, Safe Tech Act : débattu en 2021 mais relancé par deux sénateurs qui veulent réformer la "loi sur la décence dans les communications" de 1996

hors cours

d'après Turner, c'est ce Communication Decency Act de 1996 qui a convaincu John Perry Barlow de rédiger sa "Déclaration d'indépendance du cyberespace"

et plus précisément la section 230 : les réseaux sociaux ne sont pas responsables des dérives qui peuvent se passer sur leurs réseaux (harcèlement en ligne, discrimination)
"l'idée est d'augmenter le nombre de cas d'exceptions à la section 230", "le mieux serait de la supprimer mais aux USA c'est impensable"
ils s'inspirent d'une loi de 2018 qui a "réussi à quasiment éliminer l'immunité des plateformes en cas de pornographie infantile"

c'est donc un système "hybride" entre le gouvernement et les entreprises, un système qui s'auto-alimente
"les chamailleries entre les uns et les autres, ce n'est que des aspects : la porosité, les brevets, sont toujours les mêmes"
"le brevet de Google, tel que je le lis, je comprends qu'une partie du bénéfice de Google part toujours dans le gouvernement fédéral aujourd'hui"

Chine

Le modèle chinois autoritaire s'oppose au modèle américain à plusieurs titres :

  • segmentation "par le sol", on ramène la question de la souveraineté numérique à celle du territoire
  • les données traitées en Chine doivent être conservées en Chine : les opérateurs étrangers ne peuvent pas les ramener dans leur pays d'origine
  • le PCC se sert des données personnelles des citoyens pour asseoir sa domination

l'investissement matériel n'a pas fonctionné pour eux : en revanche, sur d'autres domaines, la Chine est arrivée en 2e position en un temps record (ex. cloud computing)

au début des années 2000, conseillé par Xi Jinping, le Parti entame la "nouvelle route de la soie" et décide d'investir les 3 couches du cyberespace :

  • le "pare-feu doré", qui permet au gouvernement de contrôler l'espace informationnel chinois : 75% du trafic chinois restent sur le territoire chinois
  • émergence des BATX : l'équivalent des GAFAM (Baidu, Alibaba, Sina Weibo...) qui ressemblent à ce qui se fait en Occident
  • contrôle de toute forme de critique à l'égard du système politique chinois

pour faire ce virage numérique, il faut beaucoup d'argent : d'où la création d'Alibaba, Huawei... pour inonder les marchés occidentaux ("Apple fait ça à longueur d'année")
mais en faisant du business avec des marchés étrangers, on peut subir des mesures de rétorsion (interdiction des Huawei, "un des rares trucs pas trop cons qu'a fait Trump")

ça a bien marché un temps, mais ça a été jugé insuffisant par le PCC : "pour être très honnête, ils n'arrivaient pas à assez contrôler la population"
1er janvier 2017, loi sur la souveraineté : le gouvernement exige aux télécoms la fermeture de tous les accès aux VPN, sous peine de suspendre leur agrément
1er juin 2017, loi sur la cybersécurité : impose à toutes les entreprises actives, chinoises ou non, qui collectent des données personnelles de les stocker physiquement sur des serveurs localisés en Chine
"les GAFAM avaient 19 mois pour se conformer, ils l'ont fait en 4 mois, sauf Apple qui en a mis 6"
depuis, "on n'a pas arrêté de durcir"
mai 2019, "Cyberspace Administration of China" : "si vous faites quoi que ce soit en lien avec les données personnelles qui déplaît au PCC, vous êtes passibles de poursuites et d'emprisonnements"

en 2017, on estimait que les réseaux sociaux chinois (600 millions d'abonnés) étaient surveillés par 1 million de "gardiens"
"depuis 3-4, ça sort des travaux, les données sont pas totalement idiotes" : on parle de "250-280 millions d'internautes payés 50 cents par commentaires, qui posteraient chaque jour 450 millions de commentaires dans le monde entier"
"aujourd'hui, si vous êtes en Chine, il est impossible de trouver une seule image de la pauvreté en Chine, si vous tapez "pauvreté" dans Google Chine, il n'y aura aucune image prise en Chine, et Xi Jinping a annoncé en congrès que la pauvreté avait été éradiquée dans tous le pays"

"dernier élément pour l'anecdote" : 2 septembre 2023, "loi anti-addiction" interdiction d'Internet la nuit aux mineurs, temps de connexion limité selon l'âge
"c'est le symbole de la perte du pouvoir du Parti"

Russie

"j'adore le modèle russe : comme souvent, ils ont été très intelligents, plus que les Chinois"
"il faut être buté comme un Chinois pour se rendre compte qu'on ne va pas rattraper 100 milliards d'investissements en une 15aine d'années"
"les Russes se sont dits : qu'est-ce qu'on sait faire ? créer un Internet particulier"
"les Russes ont une langue, une culture du bidouillage, pour être gentil" : ils se sont essentiellement investis sur la 3e couche, la couche informationnelle

RuNet : un internet non pas pensé pour vendre au monde entier, mais pour créer un espace russophone, avec la capacité de s'étendre à la diaspora (Yandex, vKontakte...)

la Russie arrive au même résultat que la Chine, mais sans passer par un blocage des services : ils ont cherché l'adhésion des utilisateurs
pendant longtemps, on avait pensé que le pouvoir soviétique avait empêché le développement de l'informatique : "c'est faux, il y avait une vraie culture cybernétique"

Chapitre 7 : transformation numérique de l'État

(réservé)