Technopolice (Tréguer)
Le Youpi, Avignon, 12 décembre 2024
"à l'origine, la Quadrature, c'était des militants du logiciel libre"
"leur projet a un peu du plomb dans l'aile, ce qui nous a conduit à nous rediriger vers la question de la surveillance, surtout depuis 2013 et Snowden", "sujet sur lequel j'ai eu l'honneur de travailler avec le professeur Didier Bigo"
"en 2018, ça faisait 3 ans que je vivais à Marseille", "et on apprend au détour d'un article du Monde que les outils numériques pénètrent la police du quotidien, avec le projet de "Big Data de la tranquillité publique" annoncé par la municipalité de l'époque"
"il s'agit pour la police municipale d'analyser les données du passé pour anticiper ce qui est probable demain" "et on découvre que ce genre de technologies se déploie un peu partout, surtout à l'échelon local, alors qu'on pensait que c'était plutôt l'apanage de la Chine"
"c'est là qu'on a eu l'idée de monter une campagne décentralisée, pour documenter ces évolutions à l'échelle locale : ça a donné le lancement de Technopolice en septembre 2017 à Nice, bastion sécuritaire bien connu"
"il y a près de 100 000 caméras de surveillance déployées dans les villes françaises"
"c'est sous Brice Hortefeux que les vannes du financement public sont grandes ouvertes pour subventionner les communes qui s'équipent en vidéosurveillance", "ça se chiffre en plusieurs milliards, ça n'a jamais été évalué"
"la caméra, ça rassure, malgré sa contribution à peu près nulle à l'ordre public"
"et on a commencé à avoir un discours selon lequel on avait trop de capteurs et pas assez de gens pour surveiller les flux, et que c'était pour ça que c'était inefficace : du coup, on va automatiser l'analyse, détecter un vélo, un départ de feu, une intrusion..."
"en bout de spectre, il y a l'identification par reconnaissance faciale"
"vers 2018, on a vu ces technos débarquer de manière très opaque" (Briefcam)
"y'a une citation de Foucault dans Surveiller et punir qui parle de contrôle total, permanent, etc.", "moi j'ai cette analogie en tête qui m'a été soufflée par Philippe Agrain, et en 2016, alors qu'on se débattait à la Quadrature pour se positionner face au fichier TES, l'argument du gouvernement à l'époque c'était de prévenir les falsifications d'identité", "et Philippe de nous dire que si les documents étaient infalsifiables en 1940, la Résistance n'aurait pas pu exister"
"la plupart des garde-fous mis en place il y a 30-40 ans ne marchent pas", "il a fallu attendre 6 ans pour que la CNIL, la semaine dernière, mette en demeure 6 communes pour Briefcam, on est loin de la sanction pénale"
"les drones ont volé au-dessus des manifestations pendant des années en toute illégalité"
"le droit et les contre-pouvoirs comme la CNIL sont structurellement défaillants"
"la VSA n'est toujours pas autorisée en France, par contre depuis 2012 on a le fichier TAJE, et un décret qui autorise le recours à la reconnaissance faciale pour retrouver une personne dans le TAJE à partir d'une photo", "avec cette techno c'est un claquement de doigt ou presque", "on a appris dans une enquête parlementaire dix ans plus tard que c'était utilisé 1600 fois par jour"
loi JO : "Laurent Nunez a couru devant la Commission en septembre pour dire que la VSA avait formidablement bien marché", "on attend pour la fin du mois un rapport d'évaluation censé faire la lumière sur tout ça"
"le néolibéralisme, on le pense comme libéralisation de l'économie, etc. : il ne faut pas oublier que comme le dit Loïc Wacquant, la main libre du marché a besoin de la main de fer de l'État"
"des fois, les technologies de surveillance sont invoquées pour des causes tout à fait louables, comme la détection des vignettes ZFE"
"la démocratie, nous dit Castoriadis, ce n'est pas qu'une affaire de procédure, c'est aussi une question de valeurs"
"et dans un autre chapitre du même recueil, il dit : l'éthique est un cache-misère, la raison d'État est infiniment plus forte que la raison pratique et les 10 commandements"
"on s'est focalisés au niveau local, mais ces technologies sont aussi présentes aux frontières"
Amnesty International Avignon : "la reconnaissance faciale, elle existe déjà dans les aéroports"
"les erreurs de l'IA, elles sont facilement corrigées : ce qui compte, c'est les droits humains"
Malrieu : "qu'est-ce qui s'est passé pour que la CNIL démissionne ?"
Tréguer : "on en a parlé dans un des derniers articles publiés par la Quadrature, la CNIL s'est calquée sur l'interprétation de Gérald Darmanin"
"on était très contents d'avoir détourné le logo de la CNIL, on a remplacé le I par un U, ça fait CNUL"
"en effet, la CNIL naît comme une institution militante, avec Louis Jouannet, ancien militant", "mais son histoire, c'est une succession de rapports de force perdus"
"et une évolution juridique très forte dans les années 2000 avec le développement du capitalisme de surveillance, la CNIL se pense aujourd'hui bien moins comme un gendarme des données personnelles que comme une agence qui est là pour animer l'innovation dans le marché de la surveillance, ils font des dialogues constructifs, ils appellent à des débats démocratiques, alors qu'ils devraient mobiliser l'arme du droit"
"il y a aussi des gens bien intentionnés à la CNIL, mais aussi un turnover avec un phénomène d'opportunisme, des agents qui vont rester 2-3 ans à la CNIL puis doubler leur salaire en devenant DPO pour Doctolib"