Célia Izoard

Malrieu : "le cours que je vous fais est largement basé sur ce livre de Célia Izoard, "La ruée minière au XXIe siècle", c'est du très bon travail de journaliste"

Postface de "Mille neuf cent quatre-vingt-quatre" (Agone, 2021, traduction Célia Izoard) :

Pour goûter toute l’ironie de ce message [la publicité Macintosh du Superbowl 1984, ndlr], il faut rappeler que la critique de la dystopie orwellienne était au cœur de l’inspiration qui a présidé à l’avènement de la révolution numérique. À la fin des années 1970, pour les mouvements contestataires, une société fondant sa croissance sur celle d’un complexe militaro-industriel était vouée à dissoudre jusqu’au goût même de la liberté. À l’époque, face à IBM, emblème de l’État répressif associé aux grands groupes monopolistiques, les geeks peace and love s’étaient emparés des ordinateurs et des réseaux dans l’espoir d’inspirer des communautés virtuelles conviviales soustraites à l’emprise des bureaucraties. Si le modèle de la Silicon Valley est bien l’héritier du projet Manhattan (qui a mis au point la bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale) et des investissements publics dans la recherche en électronique, il est aussi le fruit des rêves de toute une frange de la contre-culture californienne issue des campus universitaires.
L’utopie cybernétique s’est bel et bien matérialisée. Plébiscitée par les classes moyennes, qui ont éprouvé dans la « société de communication » une euphorie de liberté et de puissance. Mais ce qui s’annonçait comme une révolution face aux tendances totalitaires de la société de masse les a prodigieusement renforcées. L’omniprésence technologique a rendu caduque toute aspiration à retrouver une autonomie matérielle à échelle humaine. Et elle a moins rapproché les individus les uns des autres qu’elle ne les a rapprochés des machines, décuplant notre vulnérabilité à la manipulation de masse.
(...)
1984 donne matière à réfléchir sur la notion de « respect de la vie privée [privacy] », requalification en novlangue du concept de « liberté ». L’évocation de la « vie privée » allume une rassurante petite lumière verte dans notre cerveau : en régime démocratique, le contrôle est sous contrôle, des experts neutres et bienveillants veillent au bon routage des informations. L’usage du concept de « privacy policy » relève de la double pensée.

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