Séminaire - Les GAFAM (tout) contre les États. Les firmes numériques comme nouveaux acteurs des relations internationales (Thibout)

Charles Thibout, 13 décembre 2024

a soutenu une thèse "Google et entreprises d'influences" en octobre 2024 à Paris I
"à la base, j'ai plutôt une formation d'historien", "mon premier terrain, c'était l'extrême-droite, et notamment l'OAS dans l'Ouest de la France, beaucoup de militaires et d'aristocrates héritiers de la contre-révolution"
"ça m'a servi à me former à la micro-histoire : regarder au plus près des acteurs, quels sont leurs modes d'adaptation face à un environnement qui les contraint de passer à l'action"
"et à trouver des stratégies pour faire parler des acteurs qui ne veulent pas parler : comment on fait parler des anciens terroristes autour d'un thé ?"
"après mes études, je suis devenu rédacteur en chef de la matinale de France Culture"
"je me suis rendu très vite compte que les GAFAM étaient ce spectre derrière chaque mesure d'audience, ce sont devenus des intermédiaires incontournables"
"et on s'est mis à prendre des précautions en traitant les sujets liés à ces entreprises, un peu comme quand on nous dit que l'Élysée ou Matignon sont mécontents de tel invité ou de tel traitement"

2017, Vladimir Poutine : "celui qui deviendra leader dans ce domaine [l'IA] deviendra maître du monde"
"on m'a donc confié ce sujet à l'IRIS, je n'y connaissais rien du tout mais j'ai fait croire le contraire, et je me suis formé sur le tas"
"cette approche par la "géopolitique" avec des gros guillemets, c'est une expertise assez vaporeuse sur les relations internationales pour conseiller les personnels politiques et administratifs"
"qui était donc ce Yann LeCun dont tout le monde parlait ?"
2018, scandale du projet Maven
"je suis allé au ministère des armées et j'ai observé une sorte d'ambivalence de la part des hauts fonctionnaires vis-à-vis de ces GAFAM", "d'un côté ils commençaient à s'intéresser à la souveraineté numérique, d'un autre côté ils étaient fascinés par ces entreprises et leurs dirigeants"
"j'ai été ensuite ciblé comme acteur d'influence par un certain nombre d'hobbyistes, pro-GAFAM comme anti-GAFAM"

"pour étudier l'IA, je suis remonté aux racines du mouvement cybernétique"
"les membres de ce mouvement étaient assez homogènes : anti-marxistes, anti-freudiens, anti-nietzchéens", "qui ont pour beaucoup une formation de philosophe, comme Norbert Weiner, qui pensait que les problèmes sociaux ne pouvaient être expliqués par la théorie marxiste de la lutte des classes, que tout ça au fond n'était qu'un problème de communication entre individus"
"l'inventeur du terme d'intelligence artificielle, c'est John McCarty, et il était entouré de cybernéticiens, comme Claude Shannon"

"mon intuition, c'était que l'enjeu géopolitique autour de l'IA était moins d'ordre technique que des effets que provoquait la croyance en cette arme magique", "l'analogie qui revenait beaucoup c'était le moment Spoutnik"
"dans les années 1980, les USA et les Européens investissent chacun 1 Md£ et 750 millions pour contrer l'industrie japonaise"
"et puis tout va s'éteindre, on va parler d'hivers de l'IA"

"la désirabilité de l'IA s'affranchit, pour une large part, de la raison rationnelle" : "le point de départ, c'est 2016 et la victoire d'AlphaGo sur le champion de Go, ça a été un nouveau moment Spoutnik pour la Chine, Google est revenu dans les bonnes grâces de Pékin"
"et les hiérarques du Pentagone commencent à appliquer la même grille de lecture de la guerre froide à leurs relations avec la Chine, en déplaçant les enjeux stratégies, concentrés jusque là sur le djihadisme"
"Mariana Mazzucato l'a bien expliqué dans "The Entrepeneurial State" (2013), les GAFAM ont faire croire aux USA qu'elles étaient à l'origine de toutes leurs innovations, alors que l'Internet, le GPS, et l'écran tactile viennent tous de projets publics", "on est typiquement dans le cadre d'une alliance public-privée bien rodée, et l'IA en Chine c'est pareil, ils ont pris pour modèle ce qui s'est passé aux USA"
"clairement, ces développements ne se seraient jamais produits sans financement public"

dans le plan chinois de développement de l'IA (juillet 2017), on trouve 3 objectifs "qui sont en réalité bien classiques" : prospérité économique, stabilité sociopolitique, puissance géopolitique
"et les BATX sont à la tête des plateformes d'innovation de l'État"

"si vous voulez mon avis, je serais même pour l'interdiction totale de l'intelligence artificielle"
"l'IA Act laisse des marges de manœuvres énormes aux États pour des usages extrêmement contestables, c'est totalement dingue ce qui s'est passé"

"il y a un problème général sur la définition du pouvoir"
"il y a une approche classique basée sur les indicateurs économiques, et il y a une approche basée sur l'influence : le pouvoir des entreprises viendrait de leur capacité à corrompre le personnel politique (G. Stigler, 1975)"
"et à côté de cette approche très micro, il y a celle du pouvoir structurel, plutôt développée dans les courants marxistes : une influence à distance, sans avoir besoin de s'impliquer activement dans les décisions publiques"
"évidemment, ces approches ont été renouvelées, critiquées, dépassées ; je pense notamment à P. Culpepper (2015, "interdépendance"), prolongé en France par Marianne Benquet et al. (2020)"
"le pouvoir des GAFAM, c'est la capacité d'un acteur A à fixer la valeur relative du pouvoir d'un acteur B : c'est la définition que j'ai trouvée qui convient parfaitement à un acteur comme Google"
"relative car c'est un pouvoir spécifique dans un champ spécifique, au sens de la sociologie des champs de Bourdieu"

"ce n'est pas pour rien qu'on a un secrétaire général de la CNIL entre 2006 et 2012 qui est devenu lobbyiste pour Google"
"et qui a dit noir sur blanc : "la CNIL n'a pas de vocation répressive", ça fait peur", "et pour cause, ces agences se construisent au plus près des entreprises qu'elles prétendent réguler"